Vis ma vie de médecin du médico-social
Portrait sur cette profession à travers les difficultés rencontrées et les atouts indispensables pour exercer ce métier.
Merci à lui pour ce témoignage et bravo à l’ensemble des médecins !
1. Parlez-nous de vous (présentation, années en tant que médecin dans le médico-social, lieu d’exercice, etc).
En 2016, j’ai rejoint une Fondation qui prend en charge les personnes en situation de handicap. J’intervenais sur 2 établissements :
- Tout d’abord, en 2016, une MAS accueillant des adultes polyhandicapés et adultes déficients intellectuels avec troubles du spectre autistique à mi-temps.
- Puis, en 2018, un IME accueillant des enfants déficients intellectuels avec trouble de la sphère autistique pour compléter mon mi-temps.
Je suis intervenu au sein de l’Institution de 2016 à 2021.
Depuis mi-mars 2021, j’ai réouvert un cabinet de médecine générale dans une maison de santé pluriprofessionnelle avec 4 consœurs médecins ainsi qu’une sage-femme, un kinésithérapeute, deux psychomotriciennes et une neuropsychologue.
Lors de ma première expérience en médecine générale, j’ai eu un peu de mal à travailler seul. Aujourd’hui ce qui m’a motivé à me réinstaller en cabinet de médecine générale, c’est de rejoindre un groupe avec 2 anciennes collègues des urgences et des professionnels que je n’étais pas habitué à côtoyer (psychomotriciennes, psychologue, sage-femme, kinésithérapeute). Je peux ainsi interagir avec eux concernant la prise en charge des patients. Je trouve que c’est beaucoup plus enrichissant car cela permet de « staffer » certains patients et d’avoir des idées que je n’aurais pas eu tout seul.
2. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être médecin ?
Mes parents m’ont ensuite convaincu de faire médecine en me disant que j’aurai aussi cette mission de transmission dans le sens éducation thérapeutique. Cela m’a motivé à me lancer. Je suis le seul médecin de ma famille, ce n’est même pas une tradition familiale la médecine. Au fur et à mesure des années j’ai été convaincu que je faisais le bon choix. J’aimais ce que je faisais :
- Le contact avec les patients,
- L’éducation thérapeutique,
- Apprendre ce qu’était la santé.
Tout au long de mon internat, je me suis vraiment orienté vers la médecine d’urgence parce que c’était quelque chose qui me plaisait. Je trouvais que les journées n’étaient jamais identiques, on passait du « grave » au « pas grave », de « l’urgent » au « pas urgent », du bébé à la personne âgée. C’était assez diversifié et cela me permettait d’avoir des journées très différentes les unes des autres. C’est ce que j’espère faire en médecine générale, ne pas avoir deux journées qui se ressemblent car je n’aime pas m’ennuyer. J’ai besoin d’être « nourri intellectuellement », progresser, apprendre mais aussi échanger avec les personnes.
Pendant l’année que j’ai passé à Bordeaux, mon cabinet était juste à côté d’un établissement pour personnes en situation de handicap. J’ai été sollicité par la directrice pour faire un remplacement ponctuel. Je ne connaissais pas du tout ce milieu, j’ai appris à le connaître. J’ai eu la chance de travailler avec une équipe qui était génialissime. Des personnes très impliquées, une infirmière coordinatrice adorable et professionnelle, une directrice qui était très impliquée dans la gestion de l’établissement. Cela m’a beaucoup intéressé car il s’agissait d’une pratique que je ne connaissais pas, que j’ai découvert et que j’ai appris à aimer.
J’exerçais auprès d’une population très fragile qui avait vraiment besoin de soins spécifiques. À tout moment, leur situation pouvait se dégrader d’où une nécessité d’être réactif. J’ai effectué ce remplacement pendant 3 mois avant de retourner aux urgences. Alors, quand j’ai quitté de nouveau les urgences, c’est naturellement que je suis retourné dans le milieu médico-social.
J’ai intégré 2 établissements :
- En premier lieu un établissement pour adultes, une pratique que je connaissais déjà ;
- Ensuite un établissement pour enfants et jeunes adultes.
Je ne connaissais pas grand-chose à l’autisme. J’ai eu la chance de travailler avec des professionnels qui m’ont guidé (des paramédicaux, des éducateurs, des chefs d’équipe et de service, mes deux directions). Pour parfaire ma formation initiale et pour « justifier » le fait que je sois à ce poste, j’ai validé un diplôme inter-universitaire sur la déficience intellectuelle et le handicap mental en 2019. J’ai acquis beaucoup de connaissances théoriques que j’ai remis en pratique sur le terrain. J’ai ainsi eu une plus grande légitimité à mon poste. J’ai également pu transmettre mon savoir auprès des équipes.
3. Racontez-nous votre quotidien.
Certains usagers avaient des maladies identifiées, nous avions ainsi des recommandations et suivis officiels au niveau médical. Je me suis appuyé sur ces recommandations pour effectuer des suivis spécialisés. Il y a également tous les suivis médicaux de base en fonction de l’âge, par exemple les vaccinations des tous petits, le dépistage pour les personnes âgées, les suivis gynécologiques pour les femmes. J’essayais de remettre tout cela en route en mettant en place le même circuit de soins que les personnes qui ne sont pas en Institution.
Durant cette expérience, j’ai pu « me nourrir » des connaissances de mes collègues paramédicaux. Par exemple, concernant les patients polyhandicapés, je me suis appuyé sur les ergothérapeutes et les kinésithérapeutes sur :
- Les protocoles de rééducation,
- Les installations en fauteuil,
- Les matériels pour garantir le maintien d’une autonomie qui est très limitée.
Je me suis énormément documenté pour alimenter le dossier médical et la réflexion médicale concernant les projets personnalisés. Puis j’ai essayé de rebondir sur le ressenti des éducateurs et des accompagnants du quotidien pour savoir s’il y avait une incidence sur le médical ou si le médical pouvait avoir une incidence sur la prise en charge quotidienne.
4. Qu’est-ce qui vous anime chaque matin ?
Ce qui me motivait également beaucoup c’était de voir l’évolution de certains usagers. Je pense à une dame qui a une maladie qui s’appelle la « phénylcétonurie » (maladie génétique rare que l’on dépiste maintenant à la naissance et qui peut engendrer une déficience intellectuelle). Elle avait été un peu abandonnée par la médecine parce qu’elle avait dû rater quelques rendez-vous lorsqu’elle était adolescente ou jeune femme. Au fur et à mesure des Institutions où elle était admise, les rendez-vous se sont perdus, on ne savait pas trop où elle était suivie. J’ai repris les rendez-vous médicaux avec elle, nous avons remis en place un régime qu’elle n’aurait jamais dû arrêter. Cela n’a pas été magique mais elle a commencé à prononcer quelques mots, sur un champ lexical restreint, chose qu’elle ne faisait pas auparavant.
Une autre chose qui me motivait beaucoup, c’est lorsque l’on voyait les kinésithérapeutes ou ergothérapeutes qui arrivaient « enfin » à lever un usager pour qui on croyait que le confinement en fauteuil était la règle. Une fois verticalisés, ils pouvaient avoir une accroche au sol pour se mobiliser, se déplacer quasiment de façon indépendante. Tout cela me motive car on a l’impression parfois de « ramer » mais cette petite évolution est énorme pour certains usagers et cela fait toujours plaisir. C’est une réussite pour tous les professionnels de santé.
5. En tant que médecin, quels sont les grands défis auxquels vous avez été confrontés ?
Je pense par exemple à la MDPH, où pour la moindre demande, les temps de traitements peuvent aller de 12 à 18 mois. Pour un enfant de 3 ans, 18 mois c’est déjà la moitié de sa vie, il ne faut pas attendre autant de temps pour avoir un avis, une prise en charge ou une nouvelle allocation.
Aux urgences ce qui pouvait être frustrant c’était le manque de matériel et la mauvaise gestion de flux de patients. Par exemple, nous nous sommes retrouvés dans une petite structure avec énormément de patients. On vous amène ces patients car ils sont sur votre secteur, alors que l’hôpital qui est à 5 km, avec le double de volume de lits, n’est peut-être pas aussi saturé. Vous rencontrez de nombreuses difficultés avec une petite équipe alors que l’hôpital d’à côté avec une équipe deux fois plus importante, reçoit autant de patients que vous.
Le métier pourrait être beaucoup plus simple si les personnes dites « décideurs » mettaient un pied à l’hôpital ou en institution, voyaient réellement ce qu’il s’y passe. Pendant la période covid, cela a été flagrant. J’ai une équipe qui a été « magique » pendant le premier confinement. Une de nos infirmières était très réactive et la directrice nous a apporté un soutien important alors qu’auparavant elle gardait sa place administrative. Nous devions avancer tous dans le même sens, nous avons ainsi mis en place des actions que l’on met habituellement en place à l’hôpital.
6. Comment gérez-vous la crise covid que nous vivons actuellement ?
- Un an après le début de la crise tous les réflexes sanitaires nous les avons gardés;
- Les transmissions d’équipe se font beaucoup plus facilement;
- Les rapports entre professionnels médicaux, paramédicaux et éducatifs se font également beaucoup plus facilement;
- La communication avec l’administration se fait beaucoup plus simplement.
De mon côté, je peux dire que nous l’avons bien vécu car effectivement tout fonctionnait, c’est-à-dire que l’axe central de la prise en charge des usagers était un axe sanitaire. Le sanitaire avait pris le dessus car nous étions en situation d’urgence. Cela a permis de :
- Remettre en place des prises en charge beaucoup plus structurée qu’auparavant ;
- De réveiller certaines consciences concernant des pratiques habituelles qui ne sont pas adaptées aux personnes ;
- Nous avons acquis des gestes d’hygiène qui étaient parfois oublié ;
- Nous avons acquis des réflexes de prise en charge, d’alerte, c’est-à-dire que pour ma part, je ne pouvais pas voir 60 usagers d’un coup, en ce sens l’aide-soignante ou l’accompagnante m’informait de la situation de chaque personne pour que je puisse consulter en priorité les personnes en urgence, cela permettait de fluidifier la gestion des visites.
Je trouve que cette crise covid a été bénéfique pour les équipes même si cela a été dur pour tout le monde, notamment pour les unités qui étaient confinées. Les équipes devaient s’habiller avec une charlotte, une blouse et un masque tous les jours. Il y avait cette crainte d’attraper le virus. En effet 75% des usagers ont été positifs sur l’année. Une partie des salariés a été touchée, mais heureusement pas de façon sérieuse.
7. Quelles sont les qualités indispensables pour être médecin dans le médico-social ?
Il faut savoir écouter les équipes et se remettre continuellement en question. Au sein de la MAS, 90% des personnes en situation de polyhandicap ne parlaient pas ou s’exprimaient très mal. Il était essentiel d’être à l’écoute du corps de la personne, plutôt qu’à ce qu’elle pouvait dire.
Il y a une chose que je n’ai pas su faire et qui est une grande qualité dans le médico-social, c’est savoir gérer ses frustrations. Le médico-social est un secteur beaucoup plus « laborieux » que l’hospitalier. Les délais sont beaucoup plus longs dans les prises en charge, lorsque l’on essaie de mettre quelque chose en place cela prend beaucoup plus de temps que dans l’hospitalier. Il faut prendre son mal en patience et se dire que cela va arriver un jour, qu’on va refaire passer le message.
8. Que représente cette journée des médecins pour vous ?
Les médecins ont été beaucoup mis à l’honneur depuis un an et beaucoup décriés au début. Tous les professionnels de santé, notamment les infirmiers, ont été mis à l’honneur car on s’est rendu compte de l’importance des soins apportés et de l’accompagnement des personnes fragiles. Je suis content qu’on mette à l’honneur ma profession car je trouve que c’est un métier difficile et formidable à la fois. Il est source de beaucoup de joie et beaucoup de tristesse également. Nous vivons parfois les naissances (pour ma part je n’en ai pas vécu beaucoup) et nous vivons également beaucoup de décès, de maladies graves. Cela est beaucoup plus difficile moralement. Même si les personnes ont conscience que nous pouvons être exposés à cela, je pense que ça a le mérite d’être redit. En effet, nous écrivons le dernier certificat, nous faisons le dernier examen. Nous ne sommes pas des machines, cela nous touche de voir un corps sans vie que nous avons suivi pendant des années, dont nous avons pris soin et que d’un coup, cela s’arrête, c’est quelque chose d’assez dur. Durant le covid nous avons eu 2 décès à la MAS, aux urgences j’en ai vécu un certain nombre. Bien qu’on essaie de prendre un peu de distance par rapport à ces événements, cela nous affecte. Cela marque notre vie professionnelle. Je ne dis pas qu’il faut tout le temps rendre hommage aux médecins mais il faut leur rendre hommage comme on rend hommage aux infirmières, aux aide-soignants et à tous ceux qui sont à proximité des patients.
J’ai trouvé cela très sympa quand tout le monde applaudissait au balcon. Je trouve que les applaudissements étaient un signe de reconnaissance. Il ne faut pas oublier que nous avons besoin de plus que cela : nous avons besoin de soutien, je ne parle pas de soutien financier mais de soutien moral et de compréhension. Lorsque cette crise va s’arrêter, les personnes critiqueront de nouveau la lenteur du docteur, l’incompétence des infirmières. Ces mêmes personnes auront très vite oublié la charge de travail des professionnels de santé.
Être médecin n’est pas un métier facile, nous travaillons toujours à flux tendu que ce soit à l’hôpital ou en institution. Par exemple, à l’hôpital au service d’accueil post-urgence, il y avait une infirmière pour 12 malades dont 8 qui nécessitaient une toilette totale au lit et que cela devait être effectué en une heure et demie avec les petits déjeuners et les traitements. Elle avait un rythme effréné. Nous avons de la chance d’avoir des personnes engagées qui gardent le moral pour faire face à ce genre de choses alors que le salaire n’est pas très valorisant.
Pour ce type de métier, il faut être motivé pour prendre soin des personnes, pour venir tous les matins et être convaincu que ce que l’on fait a un sens, même si la reconnaissance financière n’est pas à la hauteur. Au-delà de la mise en avant des médecins, il faut aussi mettre en avant toutes les « petites mains » qui sont à côté et qui mettent en œuvre ce que les docteurs décident.
9. Un dernier mot à ajouter pour finir ?
J’habite dans une ville depuis 30 ans et j’ai appris récemment qu’il y avait une institution pour adolescents en fauteuil à 1 km de chez moi. Je n’ai jamais vu un fauteuil dans les rues et je trouve cela dommage. Je pense que cela ouvrirait les esprits de beaucoup de personnes de voir des personnes différentes dans la rue. Lorsque l’on voit une personne en fauteuil qui veut traverser la route, on ralentit et on laisse passer.
Cela permettrait également de rénover certains trottoirs qui sont impraticables pour les fauteuils. Mais également d’avancer sur la signalisation, par exemple dans les pays du nord de l’Europe il y a des feux tricolores sonores.
Cela permettrait aussi d’apaiser les tensions, les personnes qui ne font pas très attention dans la rue, lorsqu’elles croiseront des personnes en difficulté, elles peuvent se remettre en question en se disant « il faut que je me calme parce que je risque d’être dangereux pour des personnes plus fragiles que moi ». Je pense que cela serait un bénéfice pour la population en général de voir des personnes en situation de handicap dans la rue, à la boulangerie, au supermarché. Je trouve que c’est encore trop fermé. C’est un monde qui reste en autarcie et c’est dommage.
Dans les établissements médico-sociaux, nous avions l’impression d’être encore au 20ème siècle. L’informatique n’a pas évolué, les logiciels créés pour le médico-social ont un train de retard car ils sont beaucoup centrés sur l’éducatif et que le volet santé a été un peu oublié. Le médico-social est en train de raccrocher les wagons pour que justement le dossier usager soit mieux coordonné et que nous arrivions à avoir une meilleure visibilité de l’éducatif et de la santé.
Il reste encore beaucoup de passerelles à faire. Par exemple sur le DMP, cela serait formidable si le DMP fonctionnait et que nous puissions avoir les comptes rendus hospitaliers directement sur les boîtes des logiciels médico-sociaux. Ainsi, nous n’aurions pas à chercher trop longtemps les informations concernant ces comptes rendus et notamment les conclusions.
La communication avec les familles est essentielle. Nous l’avons vu pendant la période covid qu’il était important de connaître l’état de santé de l’usager et que la famille puisse également communiquer ses inquiétudes auprès de l’établissement. Les visites n’étant pas autorisées, cette communication était indispensable. Il faut améliorer cette communication entre les familles et les établissements médico-sociaux. Il s’agit d’un grand défi pour le secteur qui est très en retard par rapport au secteur hospitalier. Lui-même étant en retard sur d’autres secteurs tels que l’informatique ou la publicité qui font des choses extraordinaires. Nous avons l’impression d’être la dernière roue du carrosse ou le dernier wagon alors que nous avons besoin d’une meilleure modernité dans la prise en charge.